Réjean Meloche

Une photo banale aux conséquences énormes.

Rue Fullum à Montréal, direction nord, à la hauteur du stationnement extérieur du quartier général de la Sûreté du Québec. Nous sommes en fin d’après-midi, à l’été 1972. Le soleil qui disparaît derrière une couche très dense de nuages produit des effets saisissants même sur une image en noir et blanc.

Mes deux appareils photos sont toujours disponibles sous le siège avant de mon véhicule, car je couvre à cette époque les événements policiers qui se déroulent sur l’île de Montréal. Je suis affecté au faits divers – les chiens écrasés – comme on dit dans le métier. L’un est équipé d’un grand angle, l’autre d’un puissant téléobjectif, car changer de lentille lors d’un événement fortuit fait perdre des secondes précieuses.

Je ne prends même pas le temps de me garer en bordure du trottoir. Je saisis l’appareil avec le télé, pointe rapidement vers le soleil qui disparaît de seconde en seconde, prends trois clichés, puis remets la caméra sous le banc en poursuivant ma route sous les avertissements sonores des véhicules qui me suivent.

Le résultat: Une photographie assez banale qui ne fut d’ailleurs pas publiée dans le journal.

SoleilSQ

La suite, cependant, devait s’avérer pour le moins palpitante. Quelques trois semaines plus tard, en début de soirée, on sonne à la porte de mon domicile. J’habite à cette époque au 3e étage d’un immeuble. Deux policiers en civil s’identifient alors comme étant des enquêteurs de la Sûreté du Québec. Ils me demandent alors, de manière non équivoque, de m’identifier à mon tour tout en montant les marches rapidement, et ce, bien avant que je les y invite. 

Une fois rendu à l’intérieur de ma résidence, ils me demandèrent qui était la personne que j’avais photographiée dans le stationnement de leur quartier général, à la date et à l’heure précise … du coucher de soleil? (ndlr). Sans attendre une réponse à cette première question, ils poursuivirent l’interrogatoire en ajoutant d’une manière plus insistante et directe : et pourquoi ?

Je dois avouer que sur le coup, j’ai mis quelques minutes à tenter de résoudre cette énigme, car s’en était une pour moi. Je ne me rappelais pas d’avoir photographié leur édifice, ni aucune personne se trouvant dans le stationnement au moment indiqué.

Alors que je leur expliquais que j’étais à l’emploi du quotidien Montréal-Matin comme photographe et après qu’ils eurent ajouté qu’un témoin (en l’occurrence un juge) m’avait vu prendre une photo du stationnement à l’angle des rues Fullum et Lalonde, la lumière apparue enfin au bout du tunnel. Ou plutôt, le soleil me revint en tête et je leur ai raconté ma version de l’histoire. Instantanément, mes explications furent accueillies de façon satisfaisante et ils déclarèrent que, pour eux, l’affaire était résolue et qu’ils étaient prêts à quitter. Mais pour moi, je trouvais le revirement de situation et la conclusion un peu trop rapide.

Après tout, je venais de subir un certain traumatisme émotionnel. Des policiers qui débarquent à votre domicile, c’est tout de même impressionnant. Je mis donc quelques longues minutes à tenter de retrouver la prise de vue suspecte. Je savais pertinemment où elle se trouvait parmi mes négatifs non classés, mais je voulais à mon tour leur faire perdre un peu de leur précieux temps de travail. Douce revanche.

Lorsque je tendis à bout de bras la pellicule enfin retrouvée en leur direction, ils dirent reconnaître immédiatement le coucher de soleil en question, à plus d’un mètre du film de 35 mm. Fort heureusement, c’était bien l’image en question.

Transporté à pied à l’urgence.

Une légende urbaine laisse à croire qu’arriver à l’urgence à bord d’une ambulance permet automatiquement de court-circuiter, dès l’entrée, une salle d’attente souvent bondée. Or, justement, la priorité d’entrée à l’urgence a toujours été l’état de l’urgence, celui du patient.

Dans le cas illustré ici, l’arrivée sur les chapeaux de roues d’une ambulance devant l’hôpital St-Luc, le 20 mai 1977, a transformé cette intersection (Dorchester et Saint-Denis) en scène complètement surréaliste.

 

Personne heureusement ne fut blessé hormis le blessé lui-même déjà à bord du véhicule. Au moment de mon arrivée sur les lieux, les intervenants m’ont indiqué que le blessé (toujours celui de l’ambulance) avait été transporté, à pied, à l’intérieur du centre hospitalier.

En raison de son état (deux fois blessé), il a donc court-circuité la salle d’attente et son triage pour être immédiatement traité, en urgence, par le personnel soignant.

En conclusion, que l’on arrive en ambulance, ou à pied après être arrivé en ambulance, c’est toujours l’urgence des traitements qui déterminera si oui ou non on passera outre à la salle d’attente … de l’urgence. N’en déplaise aux patients impatients ralentis par le triage qui ont déjà le pied sur l’étrier.

 

Encore des mots.

Voici un exemple additionnel au billet précédent où l’utilisation de quelques mots judicieusement placés dans une image permet d’ajouter une touche d’humour à un accident de la route lui-même assez cocasse.

Arrivés après moi sur les lieux, par le tunnel, les policiers furent intrigués eux aussi en observant la scène: mais d’où provenait le véhicule ? La faible largeur du trottoir rendait impossible le déplacement d’une voiture sur celui-ci. L’automobile venait donc nécessairement du haut de la pente, mais il n’y avait aucune trace dans le sol gelé et la clôture métallique, en haut, semblait intacte.

Ce n’est qu’après avoir examiné minutieusement tout le périmètre que les forces de l’ordre ont trouvé la solution à l’énigme (voir plus bas). En raison de la chaussée glacée, l’automobiliste n’a pu négocier la courbe en haut de la pente. Son véhicule a alors percuté la clôture qui, sous la force de l’impact, s’est tout simplement ouverte comme une porte de garage pour reprendre sa position initiale aussitôt après, sans aucun dommage apparent, vu d’en bas.

Avant de prendre plusieurs clichés de la scène sous tous les angles pour illustrer mon texte d’accompagnement dans le journal, je me suis dirigé à l’extrémité du trottoir à plus de 30 mètres du lieu d’atterrissage de l’automobile. J’ai alors réalisé au télé-objectif la photo finale, bien avant l’arrivée des intervenants en scène d’accident. Encore une fois,  j’ai ajouté à l’image quelques mots pris à même l’environnement.

 

 

Quelques mots valent une photo

 

Si l’adage Une photo vaut mille mots est utilisé ad nauseam lorsque l’on parle de photographie, l’utilisation de son corollaire dans le titre de ce billet illustre une approche particulière de prise de vues.

Le fait d’inclure une inscription dans une image permet parfois d’y ajouter un attrait additionnel. La photo, ci-contre, ne représente qu’un fait divers de peu d’importance: un simple feu de roussailles. Si on ajoute cependant  un panneau publicitaire dans l’image en cadrant volontairement en sa direction, on obtient du coup une photographie beaucoup plus intéressante. Le lien doit toutefois être évident et provoquer chez l’observateur un moment de réflexion.

Cette image fut publiée en 1974 dans l’hebdomadaire du sud-ouest de Montréal, La Voix Populaire, où j’ai débuté ma carrière comme photo-reporter. Cet instantané n’est pas passé inaperçu pour le principal intéressé, le cigarettier Imperial Tobacco, dont l’usine montréalaise était justement située dans le quartier Saint-Henri.

Le directeur des communications de l’époque m’avait d’ailleurs fait parvenir au journal une lettre de remerciement pour avoir popularisé (sans aucune intention de ma part toutefois) ce cher Peter. La missive était accompagné d’une cartouche de cigarettes de la marque en question.

Cet événement avait frappé mon imaginaire, car au cours des semaines suivantes, je surveillais (volontairement cette fois) tous les panneaux publicitaires se rapportant à des produits de consommation. En autres, les annonces de véhicules automobiles  attirèrent mon attention. J’étais cependant trop optimiste, car dans le meilleur des cas, j’aurais pu recevoir … un porte-clés (!).

L’image reçue également une mention lors du concours de l’Association des Photographes Professionnels du Québec dont j’étais membre depuis deux ans.

Garder l’oeil ouvert.

Recommandation tout à fait normale pour un photographe, direz-vous. En effet, il faut rester constamment à l’affût de la bonne photo lors de la couverture d’un événement. Ici, cependant, l’image intéressante se trouvait à l’extérieur du périmètre principal.

En début d’hiver 1974, je couvrais une conférence de presse dans les locaux d’une centrale syndicale, au 6e étage d’un édifice situé à l’angle des rue Saint-Denis et Sainte-Catherine à Montréal.

Pour une raison que j’ai oubliée (ça fait tout de même près de 40 ans de cela) l’événement tardait à commencer. C’est en regardant par la fenêtre pour tuer le temps que j’ai observé le terrain vague où était érigé quelques mois auparavant l’église Saint-Jacques. Les seuls éléments conservés du lieu saint étaient la façade sur la rue St-Denis et cette entrée du transept qui donne sur la rue Sainte-Catherine. Une chute de neige toute récente avait recouvert le terrain boueux et faisait ressortir cette magnifique pièce d’architecture. Les deux entrées furent par la suite intégrées à l’édifice de l’Université du Québec à Montréal. 

Impressionné par l’aspect global qu’offrait cette scène, j’ai même osé ouvrir une fenêtre du local, l’état de la vitre ne permettant pas une prise de vue de qualité à travers celle-ci. La réprobation de mes collègues des autres médias ne se fit pas attendre en cette saison hivernale. Je leur ai justifié mon geste de force majeure pour la réussite d’une bonne photo.

Je ne fus pas le seul à apprécier cette image. Elle m’a permis de remporter, quelques semaines plus tard, le Prix Lucien-Langlois (meilleure photo) décerné par la direction de mon journal de l’époque, le quotidien Montréal-Matin. 

Elle fut remise au goût du jour, il y a quelques mois, en étant choisie pour illustrer la page couverture de mon premier livre de photographies: Montréal. L’agitation tranquille.

Je répète donc le conseil mentionné en titre : il est recommandé de toujours garder l’oeil ouvert, non seulement dans le viseur de son appareil, mais tout autour de soi.

Souvenirs politiques

La couverture d’un événement politique avec la présence de René Lévesque était toujours une occasion en or pour réaliser des instantanés mémorables. Ce fut le cas lors de la réception qui a suivi le premier caucus du parti québécois, le 20 novembre 1976. J’ai eu la chance de réaliser, en l’espace de quelques minutes, deux photographies assez cocasses du nouveau premier ministre élu neuf jours plus tôt.

Dans un premier temps, il s’amuse à faire une mimique avec une jeune enfant dans les bras de son père, le journaliste Jules Nadeau présent lors du même événement. La spontanéité de monsieur Lévesque était une source inépuisable de situations intéressantes pour qui se donnait la peine de l’observer.

Au courant de la même soirée, j’ai aussi capté sur pellicule cette poignée de main avec un inconnu. Cette image fut d’ailleurs commentée, dans la section humoristique du site Langue au chat, par l’auteur Germain Savard en ces termes : L’éminence grise qui tire les ficelles dans les coulisses.

En ce jour du 25e anniversaire de la mort de René Lévesque, j’ai pensé faire un clin d’œil (même deux) à ce grand homme qui marqua son époque.

Le retour aux sources

Cette photo montre la rive nord de l’aqueduc de Montréal à la hauteur de LaSalle. Une camionnette de transport de produits comestibles y plongea à la suite d’une collision avec un autre véhicule. Tout près de la camionnette, on aperçoit  un homme-grenouille du service de police de la ville de Montréal qui a réussi à attacher un câble au véhicule pour le retirer des eaux. Il s’agit peut-être d’une femme-grenouille  mais la précision de l’image  ne donne pas assez de détail à ce sujet. Par contre, si on agrandit un peu le cliché (voir 2e photo) nous avons la surprise de lire l’identité du commerce sur le côté du véhicule immergé : La poissonnerie. Il y a de ces choses qui ne s’inventent pas. Le conducteur n’avait pas été blessé et la date précise de l’événement est introuvable, mais je suis certain que ce n’était pas …  le premier avril.

 

Prendre un verre de bière right through … en prison.

Poursuite policière …

 

… pour une chaise

L’événement est survenu lors d’une nuit de patrouille assez tranquille au centre-ville de Montréal. Soudain, sur les ondes de la radio de la police, une description précise d’une automobile dont les occupants venaient d’effectuer un vol au Vieux Munich, un bar mythique situé angle St-Denis et boul. Dorchester (devenu boul. René-Lévesque). Comme les fuyards avaient empruntés l’accès à l’autoroute Ville-Marie située tout près des lieux, une importance poursuite policière fut initiée par les policiers de la CUM. Une demande d’assistance avait aussi été faite aux agents de la Sûreté du Québec qui ont une juridiction sur les voies rapides. Un barrage routier fut même érigé sur le boul. Décarie nord.

J’ai accompagné les forces de l’ordre dans cette chasse à l’homme qui s’avéra plutôt être une chasse … à la chaise. Les policiers devaient par la suite découvrir, sur la banquette arrière de la grosse Cadillac,  la recette du vol : une chaise de bois du fameux bar. Toute cette mobilisation des forces de l’ordre qui prirent un risque énorme durant la poursuite (ainsi que les photographes-reporter) pour un si banal objet.

La suite de l’enquête devait révéler que le propriétaire était constamment victime d’innombrables vols de verre de bière. C’était devenu un trophée de chasse pour tout client qui allait faire la fête dans ce célèbre débit de boissons. Mais le vol de la chaise était la goutte de bière qui avait fait déborder le bock. Le tenancier avait avisé les policiers qu’il s’était fait voler par trois personnes, sans jamais divulguer la nature du butin.

Date :  1972
Endroit : Vol au Vieux-Munich et chasse à l’homme
Média : Montréal-Matin

Bœuf abattu

Le secteur de la rue Mills, à la sortie nord du pont Victoria, à Montréal, a longtemps été associé aux marchands de bœuf en gros. Il y avait aussi des abattoirs d’animaux dans ce secteur.  À l’occasion, un animal réussissait à déjouer ses gardiens et causait tout un émoi parmi les travailleurs et la population locale.

Le 26 février 1975, les policiers du secteur sud-ouest sont alertés qu’un imposant bœuf avait pris le large et courait sur les voies du Canadien National par où le bétail était acheminé.

Après plusieurs tentatives infructueuses pour entourer l’animal afin de procéder à sa capture, les policiers n’ont eu d’autres choix que d’abattre l’animal. Ils utilisèrent les moyens du bord, c’est-à-dire leur petite arme de service, un revolver de calibre .45.

 

 

 

 

 

 

N’écoutant que son courage, et faisant fi de tous les gens qui se trouvaient à proximité, ce policier a même vidé son barillet dans la bête qui gisait déjà sur le sol . «C’est par sécurité, avait-il dit, mais on décelait chez lui un léger instinct de courage.» 

Date : 26 février 1975
Endroit : Abattoir de la rue Mills à Pointe-Charles
Média : Journal La Voix Populaire

 

Balle-molle aquatique

Il bondit, sort de l’eau et capte la balle.

Alors que j’étais en vacances estivales dans les cantons de l’Est, j’ai aperçu des campeurs qui jouaient à la balle molle dans un petit ruisseau. J’ai eu l’idée de couvrir l’événement comme je le faisais au cours de mon travail régulier pour mon quotidien. L’idée a tellement plu, même s’il n’y avait pas de pluie, qu’à mon retour au boulot, le rédacteur en chef décida d’en faire un reportage photographie pour les pages centrales, qui étaient utilisées pour les événements sportifs majeurs comme le baseball  ou les images insolites.

Quelle attrapée … à la nage.

Date : 27 août 1976
Endroit : Camping du Lac Brome, cantons de l’Est
Média : Montréal-Matin, pages centrales